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Les Sacrifiés

— Cible ? — Jonathan Clint, Chorral City, Ohio. — J’en ai 3. — 2 gamins de moins de 12 ans et ptit jeune de 17 ans ? — Yep. — Jamais des gamins trop jeunes, ils meurent et il est impossible de les interroger après. C’est le ptit jeune de 17 ans qu’on transfère. — Ah, d’accord. Date et heure du transfert ? — Vendredi 15 novembre 2024 a 3h46. Il sera endormi et saoul. — Date et heure d’arrivée ? — Lundi 11 novembre 2024 à 7h52. — Étage d’arrivée ? — Étage 1. — Date et heure du retour ? — Samedi 23 novembre 2024 à 14h17, dans son lit. — Équipement aller ? — Aucun. — Équipement retour ? — Aucun. — Souvenirs ? — Conservés. — Autre chose ? — Ça ne m’amuse pas plus que toi d’envoyer toutes ces personnes dans Les Coulisses, mais c’est notre boulot et c’est pas trop mal payé. — Pourt- — N’oublie pas ce qu’il est arrivé à Déborah quand elle s’est mise à poser trop de questions… Faisons notre boulot et tâchons de rester sous les radars si on ne veut pas finir là-dedans. Un café ?

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[Microfiction]

J'sais plus si je dois Tout accepter ou Tout refuser

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C O M M E R C I A L

Les couverts étaient rangés. Les serviettes étaient pliées,

Ce jour-là, un commercial s'est introduit dans notre bâtiment. Il s'est présenté à la porte, s'est fait inviter à l'intérieur, technique de criquet dévoreur. Quand un VRP s'assoit dans votre cuisine et dévoile le contenu de sa serviette, sachez-le, un grand malheur s'abattra sur les vôtres.

Condamnation scellée, signée sur contrat de vente.

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[!](https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr)

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Les dieux sont petits. Celui des chaussures adore les piles de boîtes en carton. J'en ai assemblé des pilastres à escaliers, les offrandes au sommet. S'IL me voyait, s’IL me voyait vraiment, IL saurait que je trompe en faisant semblant d'avoir encore du stock à rentrer. Le dieu de l'agroalimentaire lui, me laisse glisser des tartelettes ou des salades fraîcheur sous ma veste à midi. Je les mange en contemplant les camions qui déchargent sur les quais. Autrefois les divinités raffolaient d’épis de maïs. Aujourd'hui nous leur rendons gloire au badge magnétique.

Les dieux sont pressés. ILs ont des intermédiaires, ILs délèguent. En sortant des toilettes je croise le manager jamais content. Qui parle au nom de, me dit qu'une autorisation pour aller faire pipi est obligatoire. Il voudrait que je baisse les yeux, se prend pour demi-déité. Il confond les noms des employé⋅es et m'appelle Gabarit.

Est-ce que les dieux sont légers aussi ? Au prêt-à-porter, Charlotte dit que le sien lui parle. Pas de vêtements. Elle dit que si on lève les yeux au-delà des rails de luminaires, on peut voir le faux plafond comme la surface d'une grande piscine qui nous recouvre. Parfois au lieu de bosser j’attends de voir si les plaques ondulent au-dessus de nous.

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T

Quand je leur lance « Bonnes fêtes ! » en premier, alors que je ne célèbre pas Noël, c'est un jeu de rôle. Je marque des points. Comme la jambe levée des motard⋅es ou les passant⋅es qui sourient au passage piéton. Un jeu sans échelle de progression, qui se joue seul⋅e avec soi-même. Dans ma tête je suis un⋅e espion⋅ne spécialiste des coutumes farfelues. Mais je ne devrais pas le dire, ça ruine un peu le stratagème et on risque de m'accuser de pensées T. Tragiques. Terrifiantes. Traumatiques. Les fachos petits et grands sont dans les ministères, chez les voisins, votent les lois, font tomber les peines... Pour survivre il faut faire semblant. Moi, mon projet T c'est de dévaloriser les bonheurs obligatoires en prétendant y croire plus que vous.

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le silence

Post croisé de https://imaginair.es/@hangry/111487370274435004

D'aucun pourrait penser que plus d'entre nous commenceraient à supplier une quelconque déité. Or, ce ne fut pas exactement le cas.

Certes, certains se mirent à genoux et commencèrent à implorer en silence. Ce qu'il s'échangea entre le murmure de deux lèvres tremblotantes, je n'en ai pas la moindre idée. Et provenant d'un acte si intime, je ne veux pas le deviner.

Ce que j'aimerais savoir, c'est comme un acte d'une époque si ancienne put ressurgir d'instinct à ce moment. Notre culture est si nihiliste aujourd'hui, pensèrent-ils sur le moment qu'implorer l'Univers lui ferait pousser une conscience tout-à-coup, croiser les bras et changer d'avis ? Va savoir.

Oui, il y eut des prières certes, mais pas tellement.

D'aucun pourrait penser que dans une dernière étincelle de terreur et de panique, les gens ne penseraient qu'à la b**se. Certains tentèrent un marathon de performance, à l'image de leur fiction erotica favorite. Il y eut des paquets de corps noués et haletants sur le sol, certes.

Or, passé la frénésie des premières heures, jours pour les plus endurants, lorsque les cris et les gémissements se firent plus rares et espacés. Personne alors ne voulait plus sentir dans la transpiration de son ou sa partenaire, la même odeur de peur métallique, qui habitait déjà lugubrement, dans le fond de sa gorge.

Il y eut du sexe oui, mais pas tellement.

D'aucun pourrait penser qu'il y aurait eu alors plus de meurtres, de règlements de compte, de défoulement. Mais à quoi bon ?

Lorsque la menace est si absolue qu'elle égalise tous les hommes et femmes et enfants en bas-age, toutes les couleurs de peau, et les métiers. Alors l'Homme voit son prochain comme son égal. Un ami, un confident dans la pénombre du crépuscule menaçant.

Oui, l'humain est dégueulasse comme ça.

C'est ce que nous appelons intimement ce météore, aujourd'hui. Le "grand égaliseur".

Une boutade légère de dernière minute. On en oublie la crispation du visage las.

Oui, il y eut de la violence et des matraquages. Et des cris et des morts. Certes.

Mais soyons honnêtes avec nous-même. Nous oublions de frapper le fantasme de notre colère et de notre haine, lorsque leur regard rivé dans le nôtre, reflète pareillement, cette lueur sordide jaune, que nous voyons dans le ciel.

Il y eut de la violence oui, au début. Mais pas tellement.

Non, en réalité lorsque je regarde autour de moi, je vois surtout des âmes damnées, assises au sol, les yeux fermés sereinement. Les larmes séchées sur les visages, les voix rauques de cris poussés à déperdition, tues dans un océan de silence. Si ce n'est pour les corbeaux croissant de toute leur hargne, comme pour défier le caillou magnifique, propulsé dans notre direction.

Le monde dans lequel nous sommes plongés en cette heure est un cimetière. Un unisson d'appréhension qui retient son souffle.

Et c'est par ces dernières lignes que je clos le dernier chapitre de mon livre. Tiens, je le baptise "le silence".

Pourquoi pas.

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Voyage temporel

L'inconvénient du tout premier voyage dans le temps, c'était que rien ne se produisait, vu de l'extérieur. Pas d'éclairs électriques, ni de remous, de nuages gazeux. Pas de disparition du sujet, comme dans les films. L'homme placé au centre de la cuve gigantesque remplie d'hydrogène ne ferma même pas les paupières, à T∥0. S'il avait cligné des yeux, les dizaines de scientifiques rangé⋅es derrière des consoles n'auraient probablement pas vu la différence, malgré la caméra grand angle rivetée dans la capsule pressurisée.

Pour Claveire, sélectionné en prison grâce aux tests dignes d'une mission spatiale, l'expérience avait également été décevante. Quand le mécanisme de sécurité relâcha automatiquement le bras qui le maintenait immergé depuis une demi-heure, il pensa que toute l'opération avait été un échec. Il resta patiemment dans le harnais, attendant qu'on vienne le détacher. Personne ne répondit à ses appels, aucun bruit, aucun signe d'agitation. Après cinq longues minutes il prit la décision d'éxécuter la procédure de secours : une fois le cordon sectionné avec l'outil prévu uniquement pour cet usage, il se laissa glisser sur le sol concave, et pensa qu'on l'engueulerait de ne pas avoir attendu. Personne ne vint.

Claveire avait beaucoup lu en cellule. Il considéra que peut-être, l'expérience avait pu fonctionner mais qu'il n'en gardait aucun souvenir. Il luttait contre cette idée, pensa courbure du continuum espace-temps. Malgré ses efforts conscients, il ne put s’empêcher d'imaginer une planète dévastée, revenue à un état naturel sauvage. Le bunker où avait été construit la cuve était assez profond pour ne pas être affecté par des perturbations à la surface. Mais Claveire espérait qu'il reste quelques représentant⋅es d'une hiérarchie quelconque, dans les autres niveaux enterrés au-dessus de lui.

Une fois sorti de la capsule émergée, sur la plateforme déserte, il du comprendre comment débloquer la porte du sas et faire en sens inverse un chemin qu’il connaissait mal. Claveire ne rencontra aucune présence entre le dédale de couloirs et l'ascenseur qui le remonta au niveau 0, situé vingt mètres sous une dalle de béton armé. Lorsqu'il souleva la trappe de la petite cheminée réservée au personnel et sortit à l'air libre, il pensa, un peu tard, radiations mortelles, nuages toxiques. Rien de tout cela ne semblait être d'actualité. Des gosses tournaient en trottinettes électriques sur le béton. Un food truck stationné à 50 mètres provoquait un petit attroupement au coin de la place, et les immeubles tout autour étaient aussi brillants que des trophées. Personne ne s'intéressa à lui. Il attendit cette fois, quelques heures, mal assis sur un banc anti-sdf, puis décida de prendre la route d'un bureau de recherche qui se souviendrait de lui.

C'était le problème. Personne ne se souvenait de lui. Claveire n'avait pas changé d'époque, la date de son entrée dans la cuve remontait bien à la veille, dans ce calendrier identique où il avait refait surface. Mais aucune trace de l'expérience, ou de l'agence qui l'avait mise en place. Ce n'était pas encore le plus perturbant. Maintenant qu'il était libre, hors du système carcéral, gracié par des circonstances discrètes, il se retrouvait sans arbre généalogique. Aucune trace des autres membres de sa famille. Pas d’état civil. Pas de numéros de sécurité sociale, d'extraits de naissance. Pas de carte d'identité, de papiers, pas d’existence. Sa première rencontre avec les forces de l'ordre fut une douche froide qui lui rappela tout ce qu'il avait cru pouvoir oublier. Claveire pensa ordre et humiliation. Par la suite, il évita systématiquement les grands axes de circulation et les centres-ville.

Personne ne voulait de lui dans les centres d'accueil débordés. Personne ne le prenait au sérieux, surtout lorsqu'il avançait l'hypothèse qu'un mauvais délire de l'espace-temps avait pu effacer ses propres ancêtres. Lorsqu’il racontait son histoire à qui voulait bien l’écouter, il utilisait la notion de ligne de temps en espérant se faire mieux comprendre. Pourtant Claveire avait beaucoup réfléchi à ce concept. Bien avant l'expérience, grâce à ses lectures, il s'était mis à penser que si l'espace et le temps étaient indissociables, comme le prédisait la physique, alors le temps linéaire n'existait pas réellement. Pas tel que nous le pensons.

Quelques semaines plus tard, installé dans une tente à proximité d'un point de distribution alimentaire régulier, là où beaucoup d'autres se demandaient aussi comment reconstruire une histoire privée de réalité légale, Claveire pensa que les expériences de voyage dans le temps n'avaient aucun intérêt pour l'humanité. En repliant l’espace-temps sur lui-même pour y chercher des raccourcis, on ne trouverait que des impasses.

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Ailleurs

Pour retrouver mon calme le soir j'ai souvent recours à la technique de se projeter dans un endroit rassurant. Tout le monde connaît, je crois que ça doit venir de la sophrologie à la base (?), en tout cas depuis tout petit on m'a conseillé d'imaginer que je me repose sur une plage quand ça ne va pas trop. Ça devait être le sommet de l'imaginaire détendu à l'époque, la plage. Moi la nuit quand j'arrive pas à couper le cerveau je commence par la respiration profonde, ensuite je visualise un ailleurs bien à moi, plus personnel. Des lieux que j'ai vraiment visité et où je pourrais m'imaginer vivre une vie détachée de toutes les contraintes humaines. Ça fonctionnait correctement jusqu'à la semaine dernière. Pour dormir, ma technique de relaxation mentale (qui se rapproche de la méditation transcendentale si j'ai bien compris) c'est d'essayer d'empêcher les pensées de se former dans mon esprit, en me concentrant sur une image inexistante. Je fais une sorte de mise au point sur le vide, dans ma tête, et dès qu'une connexion ou une idée jaillit comme une étincelle pour me sortir de ce vide, je me re-concentre sur le rien, jusqu'à ce que ces petites douleurs surgissantes s'arrêtent. À la place, si j'y arrive, des teintes apparaissent, des formes, des textures que je me force à visualiser le plus longtemps possible. Au bout d'un moment une image plus complète se dessine, puis évolue. Je la laisse m'emmener. Elle se distord, devient autre chose, parfois je vois des trucs précis comme dans une photo surréaliste, mais ça ne dure jamais très longtemps. Quand l'effet est vraiment efficace je dois m'endormir trop vite pour pouvoir en profiter. Il y a quelques jours j'ai commencé par me projeter au sommet d'une colline que j'aime bien, sur laquelle un cyprès très haut me sert de point d'accroche. Posé sur la pointe noire de l'arbre je regarde les alentours, il fait nuit, les lumières sont allumées dans les toutes petites fenêtres des maisons lointaines. Petit à petit, avec l'exercice de respiration, les pensées se dissipent, le vide se fait derrière les yeux. La nuit se fronce en bleu-mauve, je laisse ce mélange sans tiraillements se répandre, comme une aquarelle sombre. Je n'ai plus besoin de porter mon poids, de réagir aux étincelles. Elles ont cessé, je me transporte sans aucun effort.

Je ne savais pas que cette place existait en moi. J'aurais préféré ne jamais l'entrevoir. Ce n'est pas un lieu, peut-être une dimension. Une probabilité. Agglomérat d'existences, de souffrances. Comme si on farmait là-bas les étincelles neuronales, celles que j'essaie de fuir, sous forme de charge fusionnelle. Une masse engluée. 127 corps, toujours inervés, plus tout à fait humains mais maintenus en vie organique et spirituelle. Un seul métabolisme composé d'une centaine d'êtres amalgamés, encore conscients. Nous sommes 127, et moi je ne suis qu'un morceau de cette chair à neurones, un organe, un appendice.

Lorsque j'en suis revenu, au milieu de la nuit, j'ai espéré ne plus jamais retourner là-bas. J'avais tellement peur, j'ai même prié. J'ai honte de l'admettre. Depuis je regarde des séries pour m'endormir devant l'écran, et ne plus jamais repartir ailleurs.

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Serveur confusion - ep. 11 - Pointeur

Suite de Serveur confusion ep. 10 - Bitrot

Premier épisode ici

Pointeur

Yannis ?!

Ah non, évidemment je tombe sur ta boite vocale.

Écoute petit frère, je suis désolée de t'appeler, tu comprends ? Je sais que tu ne voulais plus entendre parler de moi, okay ? Surtout depuis la fois où tu m'as mise dehors devant les filles. Je sais que c'était moi, j'avais déconné. Et je sais que c'est pas la première fois, tu comprends ? Je suis désolée de t'appeler mais j'ai vraiment pas le choix. Oh putain. Je ne vais pas m'éterniser, désolée, mais j'ai un problème et il faut que tu m'aides.

Écoute. Écoute. C'est vraiment bizarre à dire mais j'ai vraiment pas le choix, okay ?

Yanis, est-ce que tu te souviens de où j'habite ?

Je sais que c'est évident, tu comprends ? Mais je me souviens pas, je me souviens que je dois tourner à gauche après la supérette et puis à droite pendant deux cent mètres, okay ? Et je pourrais jurer que c'est là où j'habite. Je fais le trajet sans réfléchir, tu comprends ? À gauche puis à droite. Mais là, là dans cette rue, tout au bout, il y a un Tex-mex. Pas d'habitation, juste un putain de fastfood. Yannis, ça fait trois jours que j'ai pas changé de vêtements.

Je suis sùre que j'habite dans ce quartier.

J'ai même un trousseau de clés dans ma poche. Et le gars de l'agence immobilière, il me connait. Il m'appelle par mon nom de famille, tout ça. Mais il ne sait pas où j'habite. C'est sérieux, okay ?

Je suis désolée Yannis, vraiment désolée. Et je sais que c'est pas la première fois. C'est que des mots, je sais que c'est que des mots, tu comprends ? Je suis désolée d'avoir fait peur à Agnès cette nuit-là, je sais que j'ai réveillé les petites. Je sais combien j'ai merdé, mais là j'ai vraiment besoin de ton aide, tu comprends ? Est-ce que tu te souviens de mon adresse ? Appartement ? Maison ? 

Quand j'ai quitté le domicile parental à dix-huit ans, j'ai crêché chez des copains, c'est vrai ou c'est pas vrai ? Mais après, quand j'ai eu un premier job, est-ce que tu te souviens du jour où j'ai emmenagé ? Est-ce que j'ai acheté des meubles ? Des plantes ? Est-ce qu'on a rencontré le propriétaire ?

Tous les gars que je croise dans le quartier. Tous les riverains, ils me reconnaissent. Ils me remercient d'avoir gardé leurs animaux de compagnie, d'avoir gardé leurs gosses. Ils m'appellent par mon nom, tout ça.

Mais aucun n'est fichu de me dire où j'habite, tu comprends ?

Mais je déconne pas là, je suis sérieuse. Je suis sérieuse Yannis. J'ai rejoint un groupe d'entraide, et j'ai rien pris depuis trois semaines. 

Ils m'ont même faite installer une application smartphone qui compte les pas, et les calories avalées, et les jours de sobriété. Tout ça, okay ?

Ooooh, je déconne pas Yannis.

Est-ce que j'avais un animal de compagnie ? Est-ce que je dois le nourrir ? Est-ce qu'il va mourir ?

Oh putain Yannis, est-ce que mon animal de compagnie va mourir ? 

Si c'est une tortue c'est pas grave, elle survivra. Mais par exemple, un chien ? Est-ce que mon chien va mourir petit frère ?

Je me souviens être sortie de cette supérette avec une bouteille de soda, avoir tourné à gauche, puis à droite. Et là, Tex-mex.

Ça fait déjà trois jours que je dors à l'hôtel de la gare, je deviens complètement dingue. Il y a plus d'adresse sur mes papiers, même ma banque n'a pas pu me dire mon adresse, tu comprends ?

Je pète les plombs Yannis, tu comprends ?!

Okay, okay. Je viens d'élever la voix. Je suis désolée petit frère, je voulais pas. Je voulais pas, okay ? Je suis sobre depuis trois semaines, je te le jure. J'ai même l'appli qui compte mes pas dans la journée. 

Je veux pas te demander de m'héberger, je te demanderai plus d'argent, okay ?

Mais si tu l'as, je te demande juste cette info. Si tu sais, s'il te plait, s'il te plait rappelle moi petit frère. Okay ?

Et dis à Claire que je suis désolée. Dis à Agnès et l'autre petite que je m'excuse. C'était pas le comportement d'un adulte.

Je sais pas combien de temps il reste avant que ça coupe. Mais dis à tes filles, dis à Claire que je les embrasse, okay ? S'il te plait Yannis, s'il te plait dis leur que

!

Suite : Serveur confusion - ep. 12 - Coller

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Insignifiant

Si quelqu’un y connaît quoique ce soit, aidez-moi. Je ne comprends pas ce qui m’arrive.

Ça m’est arrivé par accident, je m’ennuyais à un arrêt de bus, et l’attente devenait insupportable. Je m’étais perdu dans mes pensées en fixant la route, et j’attendais depuis des plombes, j’en avais mal aux yeux.

Je sais que ça n’a pas de sens, mais je me suis rendu compte que la ligne jaune de l’arrêt du bus avait disparu. Je ne peux pas m’être trompé, je sais qu’il y avait une ligne avant. Elle a disparu alors que j’avais les yeux rivés dessus, il n’y a pas d’autres explications. Pourtant personne n’a remarqué son absence, même le bus continue de s’arrêter au même endroit comme s’il ne manquait rien.

Vous vous dites peut-être que je me suis fait des idées, qu’il n’y a jamais eu de ligne. C’est ce que je me serais résigné à croire, si ça ne s’était pas reproduit. Plusieurs fois. Des objets se sont évanouis sous mon regard. Une gomme, un caillou quelconque, une touffe d’herbe, un arbre dans sa forêt, des objets insignifiants, ils disparaissent de la même manière, brusquement, sans un bruit, et sans que personne à part moi ne le remarque.

Ça arrive de plus en plus souvent, je ne contrôle rien et ça empire. Je ne veux même pas imaginer jusqu’où ça peut aller. Aidez-moi.

EDIT : Où est passé mon reflet ?

[!CC BY-SA 4.0](https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/)

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Ça a deux yeux

Ça a deux bras, deux jambes, et une tête dépourvue d'orifices.

Ça a deux yeux. Bipède et binoculaire. Les bras longs comme des tisonniers n’ont pas encore perdu leurs appendices. Les pattes trapues, larges sur leurs appuis en contact avec la terre pleines de sédiments, de minéraux. D’informations.

Ça avance avec difficulté dans la broussaille d’une forêt d’ubac pas encore dégrossie par les engins roulants des humain⋅es. Quelques heures après l’éveil, la synthèse accélérée n’agrège que les premiers rudiments de survie, de déplacement. Instinctivement, il faut descendre, suivre le mouvement de la gravité, le long de ces pentes obstruées par les grands résineux qui dégorgent quelque part. Ailleurs n’est pas encore un concept. Seul l’attraction terrestre est une réalité, force ressentie dans un corps sans charpente conçu comme un simple capteur biologique. Petite chose agglomérée à la hâte. À usage unique.

Ça a deux yeux, deux globes sans paupières, mais ça n’a encore rien vu. Ça avance plié en avant, lentement dans les arbustes et les ronces, et ça voudrait déjà tout voir du monde. Tout découvrir. Curiosité machine programmée dans les gênes, cette force-là est aussi grande que le mouvement qui incline vers le sol. Tout voir, tout connaître. En appui sur les grandes tiges de ses bras, des pieds trop larges qui écrasent les épines, ça ne connaît encore rien du monde, de l’indexation sur les livrets d’épargne, des bordereaux de caisse, et des garanties à l’embauche.

[!](https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr)

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Démonologie

On raconte toujours que les esprits habitent les humains et les chèvres, mais qu'en est-il des objets du quotidien ? Il y avait un démon prisonnier d'un tube de dentifrice, un autre coincé dans un rouleau de PQ.

Lorsque vous videz les fonds de placards, les frigos, ne buvez pas la dernière goutte, ne froissez jamais la dernière feuille, de peur de libérer une force obscure.

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Scaramouche

Devant, les arcades formées par des piliers pierre jaune brute qui s'enfilent en couloir, un couloir, une allée. L'université est ouverte. Elle est même presque carrément plein air. Un mouvement d'élèves. Un courant. Il vient dans ma direction, et moi contre elleux, et je ne peux pas me retourner, ni partir de côté. Je vais contre. Le couloir de cette Fac n'est pas très large mais il est ouvert. Au-dessus des piliers qui forment les arcades c'est le ciel bleu. Sous les arcades les élèves glissent autour de moi un·e à un·e, je vois leurs visages. Seule une personne me tourne le dos, immobile elle est debout un peu plus loin devant moi, je vois ses cheveux longs. J'essaie d'arriver jusqu'à ce personnage, contre le mouvement d'élèves. Quand je m'approche de la silhouette aux cheveux longs, je ne peux pas la contourner, aucune action possible. Je regarde dans mon inventaire… J'ai un inventaire ? Aucun objet à lui donner. Pas de possibilité de poser des questions. Les autres élèves ne sont pas interagissants, mais cette personne immobile c'est un personnage clé, je le sens. Je ne vois pas son visage. Est-ce que c'est un personnage humain ? Il/Elle tourne le dos quoi que je fasse, et le flot des élèves qui arrivent ne fait qu'augmenter en nombre.

Une professeure apparaît et je suis soudain emporté dans son groupe.

« Alors vos copies : Laurent c'est pas trop ça. Yacine tu t'améliores, mais peut mieux faire. » Toujours entre des piliers, arcades en plein air, un nouvel espace qui s'est révélé. « Scaramouche... Hmm oui, alors, qui a une critique à faire sur la nouvelle qu'a écrite Scaramouche ? » Au premier rang des élèves assis·es par terre, en demi-cercle autour de la prof un peu sévère de 50 ans, une fille lève la main. « Moi madame. Je pense que c'est trop scolaire, pas assez aéré, et le fil de l'histoire est un peu trop décousu. » La prof se tourne vers moi : « C'est vrai que ton récit est un peu fragmenté, tu dois faire des efforts pour obtenir basé plus longtemps. Mais figurez-vous qu'un éditeur l'a lu et a particulièrement apprécié. Ils en veulent un autre, dans la même veine. Lafarge, tu connais ? Qu'est-ce que tu penses d'eux ? »

Merde, Lafarge c'est une entreprise qui s'est compromise dans des relations commerciales avec l'État Islamique. Ils sont dangereux et corrompus, même dans l'édition littéraire. « Euh, c'est un éditeur qui fabrique des romans pour têtes de gondoles ? » ...Voila tout ce que je trouve pour gagner du temps, et ne pas avouer que je vais devoir refuser.

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Roulette

Il n'y a que deux voies possibles aux bâtiments Stendhal : manutentionnaire ou commercial⋅e.

D'une certaine manière, nous on sait ce que c'est de faire fructifier l'argent des autres. Les patrons n'en font jamais voir la couleur.

Un jour la voisine qui a des angoisses comme moi, me dit : « Prends ces 200 Euros, et va les jouer à la roulette. » Je n'ai jamais mis les pieds dans un casino, mais elle a besoin d'argent pour payer son opération et elle est superstitieuse. C'est vrai que sur mon acte de naissance, je porte un stigmate du destin.

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REZ-DE-CHAUSSÉE

Maintenant que j'y suis, je me rends compte de mon erreur. C’était stupide de croire qu’un traducteur électronique suffirait pour se débrouiller en pays étranger. Surtout avec le changement d’alphabet : dans les rues, dans les magasins, toutes les informations utiles m'échappent. Je ne peux même pas deviner les directions indiquées sur les panneaux. × J’attends devant sa porte jaune. La logeuse devrait me laisser deux semaines pour la somme que je lui paye, mais on ne se comprend pas. Le boîtier traduit « cinq jours de pension. » Elle essaie peut-être de m’arnaquer. Je dois avoir une tête de candidat. × Une fois en possession de la petite clé qui ferme le cadenas de la chambre, vissé sur le panneau au-dessus de la poignée, j’y dépose ma valise emballée et je ne perds pas plus de temps. Le quartier des Monts de pierre est seulement à quelques stations de métro. × Les couloirs très propres sentent les fleurs sucrées. Sur les cartes affichées, seuls les chiffres des lignes de transport ne sont pas en caractères inconnus. J’ai un plan dans la poche, imprimé avant de quitter l’Europe. Avec mes annotations je me débrouille pour trouver mon chemin. Je suis l’itinéraire 21 sous des LED pâles mais aromatisées. × Rue du Jubilé. L’immeuble ne ressemble pas à ce que j’imaginais. Vu d’en bas c’est une façade aveugle, miroitante et aveugle. Aucun point de rupture. Je longe sa base. Tous les segments vitrés, opaques, sont identiques. × Et je me rends compte que je ne suis pas seul à errer sur les plaques de ciment blanc qui s’étalent autour de l’adresse. Sur le trottoir d’en face, il y a un homme. Qui vagabonde. Il porte le costume de cadre des quartiers d’affaires, mais son apparence ne me trompe pas. Je sais reconnaître les yeux qui se perdent dans les rez-de-chaussée de ville, pareils aux miens. × Comme je suis un étranger, et que toutes les caméras sont entraînées ici, je décide de rentrer. Deux vagabonds dans la même rue c’est deux suspects de trop. Moi j’en ai vu assez pour aujourd’hui. Je ne sais pas ce que l’autre cherche, mais il faut que je dorme. Pour rattraper le décalage. Et pour recevoir les prochains signes.

Toi qui lis ce récit, que je gratte entre les cabines téléphoniques couvertes d'annonces et les lavomatics mal chauffés, tu connaîtras que j'ai fui pour accomplir les visions qui se manifestent à moi lorsque je dors, la nuit.

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La Box 8

Timothé regardait la pile d'objets en polymer gros comme des boîtes d'œufs, qui s'amoncelait dans son salon depuis qu'il avait emmenagé. À l'autre bout du fil, une voix monocorde, exaspérante de calme, lui dictait la marche à suivre : — Votre Box est personnelle et incessible monsieur. — Ça fait beaucoup de Box quand même, vous ne pouvez pas me débarrasser des anciennes ? — Nous allons d'abord terminer votre diagnostic monsieur si vous le voulez bien, j'aurai besoin de connaître la date de naissance de votre ancêtre le plus éloigné dont le lieu de naissance se situe en France ou dans un pays de l'Union Européenne hors traité Luxembourg. Un tableau affiché sur le mur contenait les informations administratives couramment demandées par les services à distance. Timothé fit quelques pas pour s'en approcher. — Attendez je regarde. L'agent du centre d'appel lui, observait l'horloge de la salle, par-dessus son écran. Une belle horloge ronde, au design épuré, avec une grande aiguille fine qui tournait sans à-coups. Dans cinq minutes ce serait la fin du créneau. Fin de la journée. Une réponse arriva sur la ligne : « 14 avril 1857. » Le téléconseiller pivota dans son fauteuil. Derrière son petit bureau on pouvait voir les toits à l'horizon, à travers l'unique fenêtre de cet emplacement qu'il occupait par pure chance cette semaine. Dans son micro sans-fil, il confirma le verdict : — Oui c'est bien ce que je disais, il vous faut la Box 8. Timothé commença à perdre patience : — Comment voulez-vous que je me fasse livrer cette nouvelle Box puisque je n'ai plus accès à aucune option de livraison ? — Avec la Box 8 vous bénéficierez de TOUS les services, y compris l'assurance maladie et le suivi postal monsieur... — Mais je viens de vous expliquer que ma Box 7 ne fonctionne plus ! — Monsieur, pas la peine de vous énerver, vérifiez simplement que vous avez bien renseigné votre code d'authentification fiscale... — Je-ne-peux-pas ! — Dans ce cas monsieur vous devez vous connecter sur le site France Services en fournissant un justifica... Une tonalité compressée résonna dans le casque. Timothé venait de raccrocher. Plutôt que d'enclencher sa dernière prise d'appel réglementaire, l'agent inspira profondément, face à la fenêtre. Demain il serait dans un autre compartiment du plateau, devant un mur. Il rêvait de prendre la grande décision. De tout arrêter dès la semaine prochaine. Ne plus se lever le matin pour répéter des scripts de discussion. Ne plus voir la tête de ses voisin·es de cube, ni celle du manager hargneux à chemise colorée.

Mais pour avoir accès à la Box 9, il lui faudrait renouveler son contrat de travail.

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Sans titre

C'est un vieux médiateur pénal, sénile de 80 ans, qui m'avait envoyé là-bas. Je n'étais pas assez inquiétant pour un vrai tribunal : le travail forcé devait me remettre sur le droit chemin.

« Ici on fournit un service client exceptionnel » annonce l'instructeur. Je lève les yeux. Les noms magiques des tours sont illisibles d'en bas, mais ici, au 38e étage, on a une vue imprenable sur le royaume des cieux.

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Sas

J'ai franchi quelques couloirs désaffectés, avant d'arriver dans un dernier sas. Quand je pousse les portes battantes de ce que je crois d'abord être une sorte de réfectoire, un homme posté là, en polo noir, m'arrête avec gentillesse et détermination. Il prend ma main pour scruter les lignes qui courent à l'intérieur de la paume. En deux secondes il a cerné ma vraie nature : — T'es un calme toi. C'est bon tu peux passer. Derrière les portes, je crois que c'est un studio d'enregistrement.

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Frigo

Après ces émotions tu te sens toujours un peu vide. Tu ne sais pas si tu as faim, soif, ou sommeil. Tu t’assoies sur une chaise et tu regardes autour de toi dans la pièce qui sert aussi bien à faire à manger qu’à travailler sur une table. Ta cuisine ressemble à toutes les cuisines que tu as connues. Seul le frigo aujourd’hui a quelque chose d’inhabituel. C’est ton frigo, le même qu’hier et avant hier, mais sans doute ton regard s’est un peu modifié sous l’effet du stress, que tu évacues encore péniblement. Ce frigo, à la différence des autres meubles et objets qui composent une tapisserie fonctionnelle, il ne te semble plus aussi familier qu’avant. Comme si la présence du meuble disproportionné, un peu grotesque par ses dimensions dans un appartement trop petit, était le témoin d’une intention extérieure, d’une volonté artificielle. Tu dois avoir l’estomac trop vide pour penser normalement. Tu te lèves, ouvres ce frigo. Il est vide. Ça tombe bien les frigos pleins t’angoissent. Vide à l’exception d’un yaourt, tout seul sur les barres portantes à mi-hauteur. Tu attrapes ce yaourt, et cherche par réflexe de survie la date de péremption, mais ce que tu découvres, c’est autre chose. L’étiquette autour du petit pot est ornée seulement d’un jeu à gratter. Comme les jeux dans les bureaux de tabac, qui promettent des gains, des cadeaux. Rectangle recouvert d’une fine couche argentée, qu’on gratte avec les ongles ou la tranche d’une pièce.

D’habitude ce genre d’arnaque te laisse indifférent⋅e.

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